Cassandre Janvier
Timote Dadler
28 May
28May

A qui parle-t-on vraiment ? 

Maintenant qu’on a bien saisi ce qu’on veut dire (le message) et par où on veut le dire (le canal), il est temps de se pencher son audience. Parce qu’une stratégie de communication sans audience clairement définie, c’est comme parler dans le vide. Et ça, aucune campagne, même brillante, ne peut se le permettre. 

Dans le monde de la communication, on considère que l’audience est le pilier fondamental de toute action stratégique. On ne lance pas un message pour tout le monde. On le conçoit pour quelqu’un. Et mieux on connaît ce "quelqu’un", plus on a de chances que notre message ait de l’impact. Les spécialistes comme Harold Lasswell (1948) l’ont bien formulé dès le début de la pensée communicationnelle moderne : “Who says what in which channel to whom with what effect?” — Et ce “to whom” est loin d’être accessoire. Il est au centre du processus. En sociologie, des penseurs comme Bourdieu (1984) rappellent que chaque individu reçoit l’information à travers ses propres filtres sociaux et culturels : ses goûts, ses valeurs, son niveau d’éducation, sa position sociale. D'où l’importance de ne jamais considérer le public comme une masse homogène. Il faut segmenter : par âge, par style de vie, par pratiques médiatiques, par aspirations ou même par contraintes. Et ça, ce n’est pas que théorique!

Le secret des géants du marketing

Dans la pratique, les plus grandes compagnies du monde ne lancent jamais une campagne publicitaire sans avoir d’abord mené une étude approfondie de leur public cible. Elles utilisent des outils précis et puissants comme : 1. Les études de marché : pour comprendre les tendances, les besoins et les comportements d’un groupe spécifique; 2. Les sondages : pour recueillir des données directement auprès de la population visée. 3. Les Buyers Persona : des profils fictifs mais ultra-détaillés qui représentent les différents types de clients idéaux. Ces techniques permettent de ne plus se baser sur des suppositions, mais sur des données concrètes. Résultat ? On peut formuler un message qui résonne, dans un langage qui parle à l’audience, via le bon canal et au bon moment. C’est là que la communication devient efficace, ciblée et engageante. On ne parle plus pour parler, on parle pour toucher. 

Connaître son audience : un atout majeur 

L’audience n’est pas une abstraction, elle désigne cet ensemble précis de destinataires auxquels s’adresse le message. Elle peut être : un groupe social, un segment démographique, une communauté professionnelle, un écosystème culturel donné. Pour définir son audience, il est important d’entrer dans l’univers mental et émotionnel de ceux qu’on veut toucher. Quelles valeurs partagent-ils ? Quels mots résonnent pour eux ? Quelles représentations du monde guident leur perception ? Sans cette connaissance fine, le message reste suspendu dans le vide, incapable de trouver son ancrage.

C’est un travail de précision. Un ton trop décalé, une image mal interprétée, une allusion maladroite peuvent suffire à détruire le lien qu’on tente de tisser. À l’inverse, un message aligné sur les attentes implicites de son public ouvre une porte, installe un climat de confiance, crée une résonance immédiate.Lorsque l’audience est mal comprise, toute la stratégie peut s’effondrer, même si les intentions étaient bonnes et les moyens considérables. L’erreur n’est pas forcément dans le choix du canal ou dans la qualité du contenu, mais dans l’incapacité à lire correctement les attentes invisibles du public. Prenons un exemple concret pour éclairer cette réalité. 

Le fiasco Dolce & Gabbana 

En 2018, Dolce & Gabbana a tenté de capter l’attention du marché chinois avec une campagne sur les réseaux sociaux. Ils ont choisi le bon canal pour toucher une audience jeune et branchée. Le message était simple : mettre en avant la culture italienne avec des moments de dégustation. Mais un détail a tout fait capoter. Pour promouvoir l’événement, la marque a sorti des vidéos montrant une jeune femme chinoise essayant de manger des plats italiens, (comme des pizzas ou des cannolis) avec des baguettes. Ces vidéos ont été perçues comme des stéréotypes blessants. En ne tenant pas compte des sensibilités culturelles, la marque a transformé une belle initiative en une vraie crise. Rapidement, des boycotts ont été organisés, et des produits de la marque ont été retirés des grandes plateformes. 

Cet exemple rappelle avec force que l’importance de l’audience dans une stratégie de communication est totale. Elle ne peut pas être considérée comme un paramètre que l’on ajuste après coup. Dès l’origine, c’est l’audience qui dicte le ton, le niveau de complexité acceptable, les formats à privilégier. Un message, même brillant sur le fond, mais déconnecté des réalités psychologiques et culturelles de ceux qu’il vise, est condamné à l’échec. À l’inverse, une communication qui épouse les codes et les rythmes de son public trouvera toujours un chemin, même sur un terrain difficile.

Savoir trouver l'équilibre 

En définitive, Le triangle stratégique — message, canal, audience — n’est pas un modèle figé, que l’on applique mécaniquement. C’est un équilibre vivant, qu’il faut construire, ajuster et entretenir à chaque étape de la communication. Un bon message aujourd’hui peut devenir obsolète demain. Un canal efficace hier peut s’éteindre sous l’effet des nouvelles pratiques sociales. Une audience, aussi bien connue soit-elle, évolue au rythme des attentes, des contextes et des usages. 

C’est pourquoi une stratégie de communication ne peut pas se contenter d’être conçue une fois pour toutes. Elle doit être réévaluée, adaptée, réajustée en permanence. Observer les réactions, écouter les signaux faibles, tester de nouveaux formats, remettre en question ses évidences : voilà ce qui distingue une communication réellement vivante d’une communication simplement mécanique.

Bibliographie ● Laswell, H.D. (1948). The Structure and Function of Communication in Society. In L. Bryson (Ed.), The Communication of Ideas (pp. 37 - 5). New York: Harper and Brothers. ● Bourdieu, P. (1984). Distinction: A Social Critique of the Judgement of Taste. Cambridge, MA: Harvard University Press. ● New-York Times Article: Dolce & Gabbana Ad Controversy China   

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